Login

« Passer en AOP pour continuer à traire du lait en montagne »

Avec treize exploitations du Haut-Valromey, Victoire et son père, Alain, font un choix stratégique et téméraire. Ils quittent un système de lait industriel, qui ne paie pas les surcoûts en montagne, pour la filière comté AOP.

Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.

Agrial-Eurial, propriétaire de la fromagerie Guilloteau depuis 2016, ne nous offre comme perspective qu’un prix du lait en baisse, aligné sur celui de l’Ouest et ne tenant pas compte des surcoûts de nos régions montagneuses (+ 46 € les 1000 litres). À défaut de partir sur de gros volumes, ce que nous ne pouvons pas faire entre 800 et 1 200 mètres d’altitude, il faut capter ailleurs de la valeur ajoutée. » La chance de ces treize exploitations du Haut-Valromey, dans l’Ain : être dans la zone d’appellation comté AOP.

Très soutenus localement et appuyés par l’interprofession du comté (CIGC) qui leur a octroyé un droit à produire spécifique, à condition de créer une nouvelle coopérative, les éleveurs du Haut-Valromey se sont mis au travail. Tout est à construire. Outre la création d’une fruitière pour transformer en fromages les cinq millions de litres de lait, il faut modifier le système de production des exploitations pour coller au cahier des charges strict de l’AOP comté : arrêt de l’alimentation fermentée un an avant la mise en route de la filière fromagère, réduction des concentrés en dessous de 1,8 t/VL/ an (contre 2,2 t actuellement), plafonnement de la productivité laitière à 4 600 l/ha. Selon les situations de départ des exploitations du groupe, la marche à franchir est plus ou moins élevée.

« Une référence de 3 200 l/ha en lait à comté nous a été accordée »

Chez les Vuaillat, le choix de passer en comté a été vite fait. « Nous y pensions depuis quelque temps. Nous avions déjà approché la fruitière voisine de Brénod dont les camions passent devant notre exploitation, mais elle n’avait pas les droits à produire suffisants pour accepter de nouveaux adhérents. L’appui du CIGC nous a ouvert des perspectives. Une référence de 3 200 l/ha de lait à comté, équivalente à la moyenne de cette filière fromagère, nous a été accordée. » Pour l’exploitation, cela représente 432 000 litres, un peu plus que le volume actuel (entre 380 000 et 420 000 litres selon le nombre de vaches au lait vendues).

Après les turbulences vécues par le Gaec ces dernières années (départ de l’ancien associé d’Alain en 2016, rachat de ses parts), le projet comté et l’installation de Victoire redonnent un nouveau souffle à l’exploitation. Prêts dans leurs têtes, Victoire et Alain ont commencé dès ce printemps à modifier leur système de production. « Pour valoriser la pousse d’herbe, nous faisions de l’enrubannage précoce, expliquent-ils. La première coupe fauchée mi-mai était suivie d’un foin et d’unregain, avec une pâture éventuelle en fin d’année. Pour ramener de l’énergie dans la ration des laitières, nous incorporions du maïs épi. »

Avec le nouveau cahier des charges, ce ne sera plus possible. Le lait devra être produit avec du foin, du regain et un niveau de concentré en baisse. Pour limiter la plus grande dépendance du nouveau système fourrager aux aléas climatiques de printemps et d’été, il faudra récolter des stocks importants de fourrages de qualité. « La première coupe de foin devra être fauchée quasiment à la même période que notre enrubannage, avance Alain Vuaillat, et il faudra apprendre à gérer de façon optimale le séchoir dont la construction est en cours. »

Un programme de fertilisation adapté et une réorganisation du pâturage doivent contribuer à améliorer la productivité des prairies malgré des sols peu profonds, caillouteux et séchants. Un objectif de 4 tonnes de matière sèche par hectare a été retenu.

« Nous devons affiner nos pratiques de pâturage »

« La flore de nos prairies permanentes est très bonne, note Alain. Le problème, ce sont les campagnols qui ravagent tous les deux ou trois ans nos meilleures prairies, riches en trèfles. »

Ce printemps, les éleveurs ont commencé à réorganiser leur parcellaire. Des paddocks de un hectare ont été constitués au fil électrique. « Au lieu de laisser les vaches deux ou trois jours sur la même parcelle, nous les changeons désormais quotidiennement. Cela a bien fonctionnépendant deux mois et demi jusqu’à fin juin, avant que le sec ne s’installe. Pour affiner nos pratiques de pâturage, nous allons suivre une formation avec nos collègues. »

Les deux associés du Gaec s’interrogent en particulier sur la gestion des refus et l’ébousage. « Ce printemps, au quatrième tour de pâturage, nous avions l’impression que les vaches avaient de l’herbe. Or, quand elles rentraient pour la traite, elles se précipitaient sur le fond de ration que nous laissions dans l’auge. Devra-t-on émousser systématiquement à chaque sortie de parcelle, comme le font les éleveurs du Doubs ? Si oui, ce sera une contrainte, mais avec la modification de l’alimentation, nous n’aurons plus à faire les mélangeuses. »

Malgré les modifications alimentaires, les éleveurs pensent maîtriser la baisse de production de leurs laitières. Compte tenu du très bon niveau de génétique du troupeau et de la diminution du nombre des vaches au lait vendues(1), une moyenne de 7 250 l/VL/an a été retenue dans l’étude prévisionnelle réalisée par la chambre d’agriculture de l’Ain (soit une baisse de 500 litres par rapport aux volumes vendus les trois dernières années). « Nous ne devrions pas beaucoup descendre en lait, estime Alain. Une étude de l’OS montbéliard a montré que plus les vaches ont de la génétique, mieux elles valorisent leur alimentation, et moins il leur faut du concentré pour faire le lait. De 10 000 kg/VL/an en moyenne d’étable, nous avions déjà réduit à 8 500 kg il y a quelques années. Nous nous rendions compte que nous donnions tout notre argent aux marchands d’aliment. » Alors que la quantité de concentré distribuée s’élevait à 222 g/l de lait (hors maïs épis), en filière comté, les éleveurs tablent sur un niveau de 247 g(2).

« Apprendre à se préoccuperdes bactéries pathogènes »

Dans la nouvelle filière fromagère au lait cru, la maîtrise de la qualité sanitaire du lait sera également un enjeu majeur. « Il va falloir se préoccuper des bactéries pathogènes que nous ne connaissions pas telles que les listeria, les salmonelles, les staphylocoques et Escherichia Coli. Des analyses de notre lait (une par mois pendant trois mois depuis décembre) sont réalisées. Les installations de traite vont être contrôlées et les pratiques de nettoyage auditées. » En 2019, une formation de quatre jours sera dispensée à partir des situations concrètes des élevages. Il faudra aussi être très vigilant sur la qualité des fourrages et celle de l’eau.

« Ici, seules les fermes en comté sont reprises facilement »

La réelle difficulté du projet portera sur la période de transition. « D’ici le démarrage des premières fabrications, à l’automne 2020, nous supporterons les coûts du cahier des charges comté sans la valorisation », analyse Victoire. Outre une trésorerie compliquée, les éleveurs devront s’approprier la maîtrise technique du nouveau système : changement de ration, modification du système fourrager, utilisation du séchoir. Malgré tout, le passage en comté AOP constitue une magnifique opportunité pour le Gaec Vuaillat. Il permet l’installation de Victoire, ce qui n’était pas envisageable avec 395 000 l de lait industriel payé à 340 € . Changer de filière constitue un atout pour la transmission de l’entreprise dans une dizaine d’années, quand Alain partira à la retraite. « Dans le secteur, seules les fermes en comté se reprennent facilement, note ce dernier. Avec un lait mieux valorisé, Victoire aura les moyens de prendre un salarié pour se libérer et se faire aider. »

Anne Bréhier

(1) L’objectif pour les prochaines années est de commercialiser au maximum dix vaches au lait chaque année, contre 28 il y a deux ans. (2) La référence du groupe montagne foin Ain  est de 265 g par litre.

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement